1 mars 2011

Le sionisme, c'est la continuation du judaïsme, par d'autres moyens. Par Yael Lotan, traduit par Marcel Charbonnier.

Un article indispensable au milieu de la tromperie généralisée sur le sionisme et le judaïsme.  Car le choix du mot sionisme n'est pas innocent, ni sans conséquences. D'un coté il permet de cacher les buts mondiaux du judaïsme, et de l'autre ses mobiles religieux.  En se faisant passer pour un mouvement non religieux alors qu'il crée un état juif le sionisme tente de limiter l'interrogation sur le judaïsme dont il est une émanation. En focalisant sur Israël, on a longtemps ignoré l'action des agents d'influence sur la politique mondiale issus de ce groupe religieux.  


Pourtant le temps nous démontre que la Palestine n'est que le terrain d'entrainement de leur plan mondial.  Et que nous devenons tous des Palestiniens.  Ce dont bien sûr l'auteur de cet article ne nous parle pas.  Mais on ne peut lui demander un tel effort, pas plus qu'à ces anthropologues juifs dont il reconnait le silence donc le rôle subversif sur la nature raciste du judaïsme.  Ce texte est difficile à trouver sur le net, merci à Redk de l'avoir posté un jour de décembre 2008 sur l'article Israël boycotte la conférence sur le racisme qui a fait des ravages sur notre confiance en la rédaction d'alterinfo, et nous a fait comprendre que la subversion peut prendre divers visages. Ils ont tenté de le censurer mais prévenus, nous copions à l'époque toutes les pages au fur et a mesure de la sortie des commentaires, car pour faire croire en leur liberté d'expression ils avaient mis les commentaires en modération à postreriori, depuis ils appliquent un système de blocage d'IP des plus récalcitrant.. Ça a été un moment fort de notre compréhension du racisme intrinsèque au judaïsme. Et des gate-keeper mis en place pour nous faire croire que seul le sionisme était coupable.  


Place à l'article : 

Le sionisme, c'est la continuation du judaïsme, par d'autres moyens
par Yael Lotan. Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier

  Quiconque souhaite débattre du phénomène sioniste se heurte immédiatement à la difficulté qu'il y a à définir ce concept. A la différence de la colonisation européenne des Amériques, par exemple, ou encore de la domination britannique au Kenya ou en Inde, on a donné de la colonisation juive en Palestine plusieurs définitions, diverses et contradictoires. Les deux définitions les plus courantes - et contradictoires entre elles - sont les suivantes : 1) Le sionisme est le mouvement de libération nationale du peuple juif ; 2) Le sionisme est une des manifestations du colonialisme européen au 20ème siècle. Je reviendrai sur ces définitions, leurs origines et leurs limites. 


Je me propose de montrer que le sionisme est essentiellement un phénomène juif, qui ne peut être séparé du judaïsme (au sens religieux et historique de ce terme) et que, par conséquent, son assimilation, soit à un mouvement de libération nationale, soit à des mouvements colonialistes, étant plus morphologique que taxonomique, laisse dans l'ombre plusieurs de ses aspects.

Qu'est-ce que le judaïsme ?

Une prière, le Hamavdil [= le Séparateur], dite par tous les juifs pratiquants tous les samedis soirs lorsque le shabbat prend fin, loue Dieu qui « sépare le sacré du profane ». Le judaïsme est placé sous l'égide de l' idée de séparation. Quelles sont les origines et la logique de cette caractéristique si frappante ? Il conviendrait de s'atteler à cette question avec les outils de l'anthropologie, de la psychologie, de l'histoire et de la sociologie. Il y a nécessairement plusieurs raisons pour lesquelles le judaïsme n'a pas été étudié au moyen de ces instruments, et pour lesquelles les rares érudits qui ont tenté d'analyser la nature du judaïsme ont eu tendance à produire des textes apologétiques. L'une d'entre elles est peut-être le fait que certains des pères de l'anthropologie moderne étaient eux-mêmes juifs (par exemple : Franz Boas et Claude Levi-Strauss) et qu'ils n'étaient pas désireux (ou qu'ils étaient incapables.) de s'attaquer à leur propre culture ancestrale avec les mêmes outils qui leur avaient permis de s 'atteler au démontage des cultures exotiques. Mais, allez-vous me dire, les spécialistes non-juifs n'ont pas, eux non plus, appliqué à la religion qui a donné naissance au christianisme les mêmes méthodes analytiques qu'ils ont appliquées sans hésitation aucune aux cultures et aux religions totalement étrangères. Une exception - rare et éclairante - est sans doute celle du célèbre ouvrage de Mary Douglas, « Purity and Danger », dans lequel elle analyse les lois de la pureté dans le Lévitique, en les replaçant dans un large contexte anthropologique.

Mais c'est là une des rares études sur la question, qui ne traite que de la phase primitive du judaïsme. Elle ne saurait donc pas plus couvrir le sujet du judaïsme contemporain qu'une étude consacrée aux premiers jours de la République américaine ne pourrait traiter des Etats-Unis d'aujourd'hui. Il est grand temps que quelqu'un applique les méthodes anthropologiques classiques au Shulhan Arukh - ce code juridique universel, référence de tous les juifs pratiquants - en comparaison avec d'autres cultures ancestrales, depuis les Brahmanes hindous jusqu'aux tribus papoues. Mais, même en l' absence de tout ceci, il est possible de tracer les délinéaments des principaux traits caractéristiques du judaïsme.

1- L'Ancien Testament définit la déité Yahvé par défaut, en termes de ce qu' elle n'est pas : Jéhovah n'est pas le dieu d'autres tribus ; Il ne partage son règne sur sa tribu choisie avec aucune autre déité ; étant une déité des sphères supérieures, du vent et de la surface de la terre, il n'a rien à voir avec ce qui se trouve sous la terre, à savoir : le monde des morts et les puissances chtoniennes, c'est ce qui explique des assertions bibliques telles « Les morts ne louangent pas le Seigneur, ni ceux qui s'abîment dans les profondeurs du silence » ainsi que les injonctions contre la consommation du sang et la nécromancie ; Jéhovah exige de ses adeptes qu'ils adoptent des signes qui les distinguent des autres hommes, comme par exemple la circoncision ou encore l'interdiction de tout travail ou de l'allumage de toute flamme, un jour par semaine. La Bible expose, par ailleurs, des lois stipulant de séparer soigneusement diverses espèces de plantes cultivées, interdisant de mettre sous un même joug un bouf et un âne, de tisser des toiles « métisses », c'est-à-dire mêlant des fibres animales et végétales, etc. Au fil du temps, le judaïsme a ajouté de plus en plus de séparations rituelles, jusqu'à devenir totalement dominé et obsédé par la manie de classer toutes choses : le pur et l'impur, le sacré et le profane, le cacher et le taref (c'est-à-dire les viandes rituellement pures et les viandes impures), la viande et les produits laitiers, la pâte levée et la pâte sans levain (azyme) (en particulier durant la période de la Pâque), la soie et le coton, les hommes et les femmes, les adultes et les mineurs, etc., etc.

2- Le judaïsme, tel que nous le connaissons aujourd'hui, a commencé à évoluer à l'époque du Second Temple, c'est-à-dire au cinquième siècle avant J.C.. Par la suite, la principale séparation - à savoir, celle opposant les juifs et les Gentils - se sclérosa au point que les dirigeants religieux Ezra et Néhémie interdirent les mariages mixtes entre juifs et non-juifs. Même les Samaritains, qui étaient pourtant les frères des juifs, originaires du royaume de Samarie, au nord de la Judée, furent rejetés. Les juifs qui adoptaient certains des us et coutumes du monde qui les entourait étaient vilipendés et ostracisés par les traditionalistes (connus, dans le Nouveau Testament, sous le nom de Pharisiens). Un juif qui s'assimilait culturellement et socialement avec les Grecs, puis, plus tard, avec les Romains, était considéré comme un ennemi. La civilisation hellénistique du monde méditerranéen et du Moyen-Orient, qui fut dans une très large mesure occultée par le christianisme jusqu'à la Renaissance, était catégoriquement rejetée par les juifs, qui demeurèrent fidèles à leur religion tribale. Le christianisme, avec son attitude ambivalente envers le judaïsme, qui se transforma graduellement en une inimitié perverse, ne fit que rendre cette séparation encore plus aisée.

(Il est important de distinguer entre des exemples antérieurs d'hostilité juive envers les étrangers, comme par exemple l'histoire de l'épouse éthiopienne de Moïse, qui reflétaient une xénophobie tristement ordinaire, et l'isolationnisme récent, ancré dans la loi religieuse. Les livres d' histoire qui constituent, de fait, l'Ancien Testament montrent que jusqu'à l 'époque du Second Temple, les mariages mixtes entre les Israélites et leurs voisins étaient constants.)

3- Après la chute du Royaume de Judée et la destruction du Temple, en 70 après J.C., la séparation (l'exclusivisme) devint le blason du judaïsme. D' autres nations (peu nombreuses, certes.) circoncisaient leurs enfants mâles, ou adoraient un dieu unique, ou avaient même parfois un dieu invisible (d' après Tacite, c'était par exemple le cas de certaines tribus germaniques), ou encore interdisaient la consommation de la viande de porc. Mais ces particularités n'ont jamais abouti à une quelconque alliance, ni spirituelle, ni sociale, avec les juifs. Plus récemment, l'Islam a adopté les principaux dogmes du judaïsme, mais cela ne l'empêcha pas, néanmoins, d' être rejeté par les juifs. Le verset biblique « Mon peuple vivra seul et ne sera pas compté au nombre des nations » devint le leitmotiv des juifs. Le judaïsme adopta le principe romain du matriarcat, selon le principe « mater semper certa est » - on sait toujours qui est la mère d'un enfant [corollaire : en ce qui concerne le père, il y a doute. ndt] - et, avec lui, la notion que les juifs sont non seulement des êtres séparés en raison de leur religion, mais des êtres, de fait, constitués d'une substance différente, particulièrement pure, qui ne saurait être souillée par un mariage mixte. De manière curieuse, la religion et ses rituels devinrent presque secondaires, car « Un juif reste un juif, même lorsqu'il transgresse [les préceptes religieux] », c'est-à-dire qu'un juif, quand bien même aurait-il mangé du porc, ou encore allumé un feu un jour de shabbat, demeurait membre du peuple élu, et pourrait toujours réintégrer le bercail. En revanche, un Gentil a beau être circoncis et observer tous les préceptes (fort nombreux.) du judaïsme, il restera toujours un goy, et aucun effort n' est épargné pour décourager les goyim de tenter de se convertir au judaïsme. Le judaïsme n'a absolument pas la prétention de devenir une religion universelle, à la différence du christianisme et de l'Islam. Si cela avait été le cas, il aurait cherché à convertir un peu tout le monde. Tel est le grand paradoxe : la déité universelle en laquelle croient les juifs ne s' intéresse absolument pas au reste de l'espèce humaine, et maintient un arrangement particulier, séparé, avec une tribu bien déterminée.

4-Le mot hébreu Yahadut, qui désigne à la fois le judaïsme et la judéité [au sens donné à ce terme par Albert Memmi , j'utilise personnellement le terme juiverie, ndt], montre bien qu'il n'y a aucune différence entre la foi religieuse et les gens qui en sont les adeptes. L'_expression juive familière, qui dit que « ce n'est pas Israël qui garde le shabbat, mais c' est le shabbat qui garde Israël » est parfaitement exacte. Cette religion, avec ses interminables listes de prohibitions et de règles de pureté rituelle, a préservé l'identité distinctive de ses adeptes. Telle fut sa fonction. En même temps, elle a mis en exergue une vision eschatologique selon laquelle le monde entier, à la Fin des Temps, reconnaîtrait la suprématie de Jéhovah et reconnaîtrait que Jérusalem est son temple et les juifs ses prêtres, les juifs constituant « un royaume de prêtres et une nation sainte ». [On ne ricane pas ! ndt] Cela ne suggère aucunement que tous les hommes deviendront des juifs ! La séparation est donc un phénomène cosmique, et elle continuera même dans l'au-delà [= dans le monde eschatologique post fin du monde.]. En cela, les juifs diffèrent des membres de la caste brahmane - qui ressemble pourtant à la juiverie par ses lois très strictes de pureté et de séparation - puisque la religion hindouiste considère que l'identité de caste d'un individu ne s'applique qu'à une seule incarnation, et n'a donc pas un statut cosmique.

Les temps modernes et l'époque des Lumières

Au 19ème siècle, l'impact des Lumières commença à saper l'isolationnisme juif. En Europe, où vivaient la majorité des juifs, l'observance religieuse s'affaiblissait à vue d'oeil et l'assimilation marquait des points. Tandis que la société ambiante devenait de plus en plus laïque et ouverte, abandonnant l'identification des individualités par leur appartenance religieuse, les juifs furent de plus en plus nombreux à se sentir mal à l' aise dans leur isolement. N'eût été les crises violentes qui secouèrent les sociétés européennes durant cette période, il est possible que la plupart des juifs se seraient assimilés, ne laissant que quelques communautés orthodoxes peu nombreuses s'accrocher à leur mode de vie traditionnel. Mais les révolutions, en Europe, à la fin du 19ème siècle, exposèrent toutes les minorités ethniques et religieuses, sans exception, à des dangers existentiels et les juifs devinrent les cibles traditionnelles des mécontentements et des frustrations populaire. C'est à cette époque que l' antisémitisme, dont les origines étaient religieuses, et dont les prémisses remontaient à l'époque des Croisades, acquit une nature séculière et raciste. On a avancé que l'exclusivisme juif aurait sinon provoqué, tout au moins exacerbé l'antisémitisme. Même si tel fut bien le cas, cela n'a plus aucune espèce d'importance. Ce qui est certain, toutefois, c'est que les violentes éruptions d'antisémitisme européen ont stimulé l'émigration massive des juifs vers l'Amérique et vers d'autres destinations lointaines.

Au début du 20ème siècle, quand l'assimilation faisait tache d'huile, à partir de l'Europe occidentale et en direction des communautés juives plus traditionnelles de l'Europe centrale et même de l'Europe orientale, il existait trois options permettant de maintenir l'identité juive. La première fut la bonne vieille méthode orthodoxe - à savoir : l'observance stricte des lois rituelles, qui constituaient véritablement une barrière physique à l' assimilation, dès lors que vous ne pouvez vous assimiler à des gens avec lesquels vous ne pouvez pas partager un repas, ni prendre un verre, ni même passer vos temps de loisir ; le mariage, n'en parlons même pas ! La deuxième option consistait à préserver l'identité juive au moyen de l' « autonomie culturelle » promue par le mouvement yiddishisant connu sous le nom de Bund - à savoir : en encourageant la culture juive distinctive au moyen de la langue et de la littérature yiddish, dans la musique et dans diverses traditions. Ce mouvement populaire a pu rejoindre le courant progressiste, soutenir des idéologies radicales, et même adopter une position anti-religieuse, car s'il existait une culture juive distincte, elle pouvait aider les juifs à préserver leur identité séparée, même si les murs que cette culture érigeait autour d'eux n'étaient pas si imprenables que ceux de l'orthodoxie. Enfin, il y avait la troisième option : le sionisme.

La séparation territoriale

Ce que le sionisme apporta de nouveau, c'était une manière de pérenniser le séparatisme juif de la façon la plus naturelle qui fût : au moyen de la séparation physique des juifs du reste de l'humanité. Dans un Etat juif, il serait possible de préserver la tribu sans avoir à lutter sans relâche contre l'assimilation. De plus, il serait possible de réaliser une « normalisation » du peuple juif, lequel, en vivant à part, constituerait « une nation parmi les nations » qui, à l'instar de toutes les autres, serait constituée de classes sociales différentes : ouvriers et capitalistes, religieux et laïcs., mais dont tous les membres seraient juifs. De plus, si des masses de juifs se rassemblaient de partout dans le monde afin de vivre en un endroit déterminé, leur existence serait plus sûre que celle des communautés minoritaires dans des sociétés étrangères et parfois hostiles. Mais, pour que ce plan réussisse, il devait se réaliser dans un lieu qui non seulement aurait été exempt de « Gentils », mais qui aurait eu, de plus, des liens spécifiques avec le judaïsme, à savoir : la « Terre d'Israël » (c'est le nom juif traditionnel de la Palestine). Toutes les tentatives de trouver une solution territoriale ailleurs dans le monde - comme, par exemple, dans la pampa argentine, en Ouganda ou au Birobidjan - n'étaient pas des solutions juives : elles demeurèrent donc idéologiquement et numériquement insignifiantes.

Au cours du premier tiers du siècle, l'option sioniste ne connut pas un succès formidable. L'option orthodoxe était encore bien implantée, et les juifs progressistes étaient plus attirés par l'option culturelle et quasi laïque du Bund. Les autres étaient des gens qui n'étaient pas hostiles à l' assimilation, qui voyaient dans le judaïsme un fardeau dont toute personne sensée préférerait se débarrasser à la première occasion. Il n'y a aucun doute que, n'eût été la montée du nazisme et ses conséquences, le sionisme n 'aurait pas été la « success story » qu'il a été, dans la deuxième moitié du 20ème siècle et qu'il est encore, en ce 21ème siècle commençant .

Depuis la création de l'Etat d'Israël, les deux définitions du sionisme citées au début de cet article ont été prédominantes, non seulement en Israël, mais partout où ce sujet est évoqué. Les juifs laïcs voient dans le sionisme un des mouvements nationaux de libération qui sont apparus au tournant du siècle et, par conséquent, ils définissent toute communauté juive, où qu'elle soit située dans le monde, comme une partie du Peuple juif, ou de la Nation juive ; nous reviendrons sur les problèmes inhérents à cette définition. Les juifs et les non-juifs de tendance marxiste décrivent habituellement le sionisme comme un avatar du colonialisme. Mais cette définition n'est pas satisfaisante, elle non plus, nous le verrons.

Le sionisme en tant que mouvement de libération nationale

Le sionisme, partant, proposa une solution au séparatisme juif par des moyens territoriaux. Malheureusement pour lui, il s'avéra que les habitants autochtones de la Palestine, que les dirigeants sionistes avaient décrits comme une poignée de nomades ismaélites que l'on pouvait ignorer ou chasser, constituaient bel et bien une nation. Ben Gourion a rappelé comment, débarquant au port de Jaffa, en 1906, il regarda autour de lui et fut saisi d'une inquiétude grandissante : « Mais que font tous ces Arabes, ici, chez moi ? ! » Le sionisme n'avait-il pas promis d'épargner aux juifs la nécessité d'ériger autour d'eux des murailles de séparation ? ! Ce fut l' origine du conflit du Moyen-Orient. Et pas seulement du conflit entre les juifs et les Arabes. Durant la première décennie du 20ème siècle, les dirigeants sionistes déplorèrent le fait que les agriculteurs sionistes, en Palestine, employaient des « Ismaélites, hommes et femmes » dans leurs vergers et chez eux. Quel sens pouvait bien avoir le fait d'émigrer en Terre d'Israël, disaient-ils, s'ils devaient, là-bas aussi, être mélangés à des goyim et si des femmes « gentilles » travaillaient dans leurs cuisines et gardaient leurs enfants ? La solution proposée consista à amener des juifs du Yémen - connus pour être profondément religieux à en juger à leurs communautés présentes à Jérusalem - et à les employer à la place des Arabes, dans les vergers, et comme domestiques. Cela fut fait, dès 1906 : la colonie appelée Sh'arayim fut créée, près de Rehovot, et peuplée par une communauté juive importée tout spécialement du Yémen. Toutefois, alors que les familles ashkénazes implantés à Rehovot avaient reçu chacune quatre acres de terres, les Yéménites n'en reçurent qu'un par famille, afin de bien s'assurer qu'ils ne pourraient pas faire vivre leur famille de l'agriculture, et qu'ils seraient donc obligés de louer leurs bras à leurs voisins ashkénazes.

Mais la définition des juifs en tant que nation est extraordinairement problématique. Il est parfaitement évident que le seul dénominateur commun entre les juifs européens et les juifs yéménites, ou entre, disons, un juif de Cochin et un juif de Roumanie, c'est la religion (il est vrai qu'après deux ou trois générations de vie commune en Israël, quelque chose ressemblant peu ou prou à une nation israélienne est apparu, de la même façon qu'étaient apparues, en leur temps, une nation américaine et une nation australienne. (Toutefois, l'inondation périodique d'Israël par des masses de nouveaux immigrants fait obstacle à la cristallisation d'une nation israélienne ; mais c'est là un autre sujet.) Et, de fait, en Israël, après un siècle d'histoire locale, la religion demeure le cadre de la société. Israël ne peut cesser d'être un « Etat juif », ou un « Etat des juifs ». Un éditorial du quotidien israélien laïc Haaretz a exprimé ce phénomène en ces termes : « L'Etat a été créé afin de fournir un foyer national au peuple juif, et c'est effectivement ce qu'il est resté, au seuil du 21ème siècle. Le peuple juif est une entité ethnico-nationale unique, qui combine la religion et la nationalité. Les lois qui régissent la scène politique en Israël dérivent de l'axiome voulant qu'il s'agit d'un Etat juif. Cette position est ancrée dans les décrets de la Cour suprême et dans les lois régissant le fonctionnement de la Knesset, qui stipulent qu' « un parti ne peut participer aux élections générales des députés à la Knesset si ses buts ou ses actions s'opposent, ouvertement ou implicitement, à l' existence de l'Etat d'Israël en tant qu'Etat du peuple juif. » [12 février 1966]. La formule « Le peuple juif est une entité ethnico-nationale unique, qui combine la religion et la nationalité » est fondée sur des prémisses qui ne sauraient être justifiées rationnellement. Quelle sorte d' « entité ethnique » pourrait bien englober à la fois les juifs russes et les juifs irakiens ? Le terme « nationalité » peut-il réaliser cet exploit ? A l' évidence : non. Le seul et unique dénominateur commun, c'est la religion, et avec elle la tradition, ou le mythe, ou une origine commune en partage, voici plusieurs millénaires. Là où la religion échoue, le sionisme maintient le mythe de la continuité ethnique par divers autres moyens : l'archéologie, le jurement des soldats à Massada ou au Mur des Lamentations, et cetera et cetera.

Le sionisme en tant que mouvement colonial européen

Les marxiens appliquent au sionisme des catégories qu'ils considèrent universelles, à savoir : le matérialisme, l'économie et les classes sociales. Et, de fait, l'histoire sioniste, dans son ensemble, ressemble à celle du colonialisme européen. Les premiers dirigeants sionistes furent de manière prédominante des bourgeois européens, qui entretenaient d'étroites relations avec les gouvernements européens bourgeois, en leur temps. De plus, le sionisme bénéficiait du soutien - absolument déterminant - de puissants éléments capitalistes tels le Baron Rothschild et d'autres. En examinant l'histoire du sionisme, depuis la « déclaration Balfour » impérialiste, de 1917 jusqu'au soutien occidental actuel à l'Etat agresseur d'Israël, on peut facilement établir un parallélisme avec, disons, la colonisation de l'Algérie et de l'Indochine par la France. Mais pourtant, il s'agit d'une histoire différente. Entre les années 1920 et les années 1940, un slogan sioniste populaire circula, qui souvent tirait sa substance de l' aile progressiste : il s'agissait d'un appel au « travail hébreu », autrement dit : « Employez des juifs, pas des Arabes ! » Mais bien qu' exprimant une indifférence totale aux besoins de la main-d'ouvre arabe, ce slogan ne pouvait pas être qualifié de racisme au sens usuel du terme, car nous avons vu que les travailleurs juifs yéménites, qui n'étaient donc pas « européens » et ne différaient en rien, ni « racialement », ni culturellement de leurs voisins musulmans au Yémen, étaient bel et bien importés afin de remplacer les travailleurs arabes locaux. (L'appartenance juive des membres de la communauté yéménite n'a jamais été mis en doute. Bien au contraire : les rabbins, les chantres et les speakers radiophoniques d'origine yéménite étaient tenus en haute estime en raison de leur profonde connaissance de la langue hébraïque et de son héritage culturel.) Mais si ce n'était pas du racisme, alors, qu'on nous dise ce qu'était cet appel au « travail hébreu » ? Il s'agissait, tout simplement, de la séparation juive traditionnelle d'avec les goyim, c'est-à-dire d'une mise en application des sempiternels principes sur la base desquels les juifs ont vécu, des siècles durant, dans le monde entier.

Par contraste, les colons européens dans les Amériques, en Afrique et en Asie étaient attirés par la disponibilité d'une main d'ouvre à (très) bon marché. Les gens émigrèrent d'Europe dans diverses parties du monde afin de s'enrichir en exploitant les ressources naturelles de ces pays, grâce à la main-d'ouvre locale. La colonie sioniste en Palestine, de la fin du 19ème siècle au milieu du 20ème, fut une entreprise différente. Avant la Seconde guerre mondiale, la plupart des colons sionistes vinrent en Palestine de leur propre mouvement, moins tant poussés par les circonstances que sous l' injonction d'une ferveur idéologique qui les amenait à laisser derrière eux des conditions bien meilleurs que celles qu'ils trouvaient en « Terre promise » ( !) Ceux des juifs qui voulaient améliorer leurs conditions matérielles émigrèrent dans les Amériques, en Australie et en Afrique du Sud. Quant à l'argent que les capitalistes juifs investissaient dans la colonie juive, il s'agissait de philanthropie juive typique (c'est-à-dire dédiée aux causes juives.), rehaussée de sympathie pour la nouvelle idéologie. Quand ces capitalistes recherchaient le profit, ils investissaient dans des entreprises autrement plus prometteuses que la colonie juive en Palestine (bien qu'ils eussent probablement espéré qu'un jour il y aurait une communauté juive autonome en Palestine, susceptible, le moment venu, de devenir rentable.)

Il n'est par conséquent nullement surprenant que le mouvement sioniste se soit comporté, par certains côtés, comme d'autres mouvements coloniaux européens, dès lors que la pensée politique de sa direction centrale était inspirée par la vision européenne du monde, à l'époque. Même quand ces dirigeants affichaient des points de vue progressistes, ils n'en continuaient pas moins à s'identifier au colonialisme occidental. (Nous ne devons absolument pas perdre de vue qu'à l'époque, même les progressistes, en Occident, croyaient en la supériorité de la civilisation occidentale.) Certainement, aussi loin que les sionistes pussent voir, le colonialisme était à leurs yeux le seul scénario crédible, et toutes les autres stratégies devaient leur sembler totalement irréalistes. Le sionisme a marché dans les brisées de l'impérialisme européen, et il a coopéré avec lui afin de se gagner son soutien. Quand la Grande-Bretagne était la puissance dominante au Moyen-Orient, le sionisme collaborait avec elle. De nos jours, la puissance dominante étant les Etats-Unis, Israël sert les intérêts américains, parce que, ce faisant, il sert ses intérêts propres. Reste que le but véritable du sionisme était de servir non pas les intérêts de la Grande-Bretagne ou des Etats-Unis, mais l'objectif juif quasi éternel : l' existence séparée.

Le sionisme israélien

Il est tout naturel que le mouvement sioniste ait recouvert divers courants, car tous ces courants coulaient vers la même destination, à savoir : un Etat juif, dans lequel la séparation serait automatique. (Aujourd'hui, même les sionistes laïcs sont capables de décrire le processus d'assimilation juive et de mariages mixtes, dans le monde occidental, comme « un Holocauste démographique » !). Beaucoup de gens croient qu'en l'espace de quelques générations, les seuls juifs qui continueront à exister dans le monde, mis à part une poignée de communautés ultra-orthodoxes maintenant leur identité grâce à la bonne vieille méthode bien rôdée, seront les citoyens de l'Etat juif. Les autres, le reste, seront assimilés et disparaîtront au milieu des « Gentils ». C'est la raison pour laquelle le sionisme demeure le programme commun de la quasi totalité des partis politiques israéliens, du Moledet, à l'extrême droite, au Meretz, à gauche. Son principal dogme est celui de la nécessité de l'existence d'une entité politique juive séparée, et la seule question demeurant pendante est celle de savoir par quels moyens cela sera-t-il rendu possible ? Les tenants de la droite pensent qu'il sera possible de supprimer, et peut-être d'expulser les non-juifs vivant en Palestine, soit en les amenant graduellement à émigrer, ou par des moyens plus violents ; dans le meilleur des cas, ils cherchent à confiner les Palestiniens dans un certain nombre de réserves dispersées, closes et étroitement surveillées. A l'autre bout du spectre politique, les membres les plus engagés du camp de la paix expriment leur préférence pour un Israël très petit, à l'intérieur des frontières de 1967, voire même encore plus petit, pourvu qu'il soit « tout à nous », c'est-à-dire, sans aucun Arabe, ou alors seulement une minuscule minorité, qui serve d'alibi à la démocratie israélienne. En cela, ils ressemblent fortement au mouvement des Blancs Afrikaner en Afrique du Sud, qui, depuis la chute du système d'apartheid, n' ont de cesse de réclamer un Etat séparé, dans la province du Natal.

La prise de conscience du fait que le sionisme n'est que la continuation du judaïsme par d'autres moyens contribue à expliquer en quoi il peut ressembler au colonialisme européen et, en même temps, en différer, sous bien des aspects importants, et aussi comment il peut ressembler à un mouvement de libération nationale, sous certains aspects, et en différer radicalement sous d'autres. L'Holocauste a fourni à l'isolationnisme juif une vengeance rétroactive, quand bien même fût-elle paranoïde et il n'est, de ce fait, jamais absent de la propagande et de l'apologétique sionistes. (Je dis « paranoïde » parce qu'il n'y a aucune raison de voir dans la politique exterminatrice nazie une quelconque menace actuelle, pas plus que les Afro-américains ne sont menacés par je ne sais quel remise au goût du jour de l'esclavagisme ? !) Et, comme je l'ai déjà dit, aujourd'hui il n'y a guère d'utilité à débattre sans fin de la question de savoir si oui ou non le séparatisme juif a provoqué lui-même l'antisémitisme. Même s'il l'a fait - il en va, en la matière, comme en matière de viol - la victime ne saurait être blâmée.

Aujourd'hui, il est difficile de digérer les paradoxes de la situation israélienne, sauf à prendre en considération le (véritable) objectif du sionisme. Il est difficile de comprendre pourquoi, en Afrique du Sud, c'est le processus inverse qui se produit - de l'apartheid, on passe à l' unification, en dépit de tous les problèmes et de tous les obstacles - alors qu'en Israël, même le slogan populaire du camp de la paix « Deux Etats, pour deux peuples », dont les motivations sont - en apparence - éclairées, vise exactement le même objectif que l'orthodoxie la plus crasse. Il y a, bien entendu, une différence basique entre les deux principaux camps sionistes, mais cette différence pourrait être illustrée par la métaphore suivante : la droite faucon veut qu'Israël reste une épine dans la chair du Moyen-Orient, et elle préfère un état d'hostilité à une solution pacifique, tandis que la gauche colombe cherche à soigner la plaie infectée et à faire d'Israël une sorte de greffe implantée au Moyen-Orient, quelque chose comme une sorte de pacemaker cardiaque, ou encore de prothèse de la hanche en matière plastique - c'est-à-dire un corps essentiellement bénin, et non contaminant. [mais non moins étranger, ndt].

Distribuer les bons et les mauvais points à l'histoire, cela ne sert à rien. La question n'est pas de savoir si l'objectif de la séparation (juive) est bon ou mauvais, mais ce que cette séparation signifie, et où elle conduit nécessairement. Parce que les empires supranationaux d'Europe se sont effondrés, au début du 20ème siècle, on dit souvent que notre époque est l' « ère des Etats nations » ; mais en réalité, nous vivons à l'ère des Etats non-nations ! La puissance dominante, dans le monde actuel, les Etats-Unis d 'Amérique, n'est pas un Etat nation, pas plus qu'il n'existe un Etat de cette nature où que ce soit dans l'hémisphère occidentale, d'un pôle à l' autre. De la même manière, l'Australie, la Grande-Bretagne, l'Inde, la Chine, la Russie et l'Indonésie ne sont pas des Etats nations, et la même chose vaut pour les pays africains. Plus le temps passe, et moins il y a de pays dont les habitants appartiennent d'une manière prédominante à un unique groupe ethnico-culturel. Les migrations massives du siècle passé ont dans une très large mesure érodé le modèle national, qui n'a jamais été aussi statique que d'aucuns veulent bien l'imaginer.

En réalité, le sionisme, bien que fondé sur le concept d'une « nation juive », a donné naissance à un Etat fondé sur la religion, tout en s' efforçant, concomitamment, de maintenir une apparence moderne, quasi laïque, quasi démocratique. Reste que, même s'il existe aujourd'hui des théocraties et des semi-théocraties vigoureuses - principalement dans le monde musulman - elles ont des fondements ethnico-culturels qui les justifient, chose qui ne peut être dite au sujet d'Israël, ce que tout visiteur de ce pays ne tarde pas à constater. Les gens qui croient qu'il sera possible, à l 'avenir, de maintenir un « Etat juif » en Israël se mettent le doigt dans l' oeil. Non seulement les Arabes palestiniens, mais l'ensemble de la réalité humaine empêcheront ce rêve [ce cauchemar ?] de devenir réalité.

  La question demeure : quel prix extrêmement élevé les habitants de cette malheureuse région devront-ils encore acquitter, avant qu'on ait trouvé une solution" 

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